Molloy (1951) | Samuel Beckett | Début du roman |
I Je suis dans la chambre de ma mère.
Cest moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment jy
suis arrivé. Dans une ambulance peut-être, un véhicule
quelconque certainement. On ma aidé. Seul je ne serais
pas arrivé. Cet homme qui vient chaque semaine, cest grâce
à lui peut-être que je suis ici. Il dit que non. Il me
donne un peu dargent et enlève les feuilles. Tant de feuilles,
tant dargent. Oui, je travaille maintenant, un peu comme autrefois,
seulement je ne sais plus travailler. Cela na pas dimportance,
paraît-il. Moi je voudrais maintenant parler des choses qui me
restent, fairre mes adieux, finir de mourir. Ils ne veulent pas. Oui,
ils sont plusieurs, paraît-il. Mais cest toujours le même
qui vient. Vous ferez ça plus tard, dit-il. Bon. Je nai
plus beaucoup de volonté, voyez-vous. Quand il vient chercher
les nouvelles feuilles il rapporte celles de la semaine précédente.
Elles sont marquées de signes que je ne comprends pas. Dailleurs
je ne les relis pas. Quand je nai rien fait il ne me donne rien,
il me gronde. Cependant je ne travaille pas pour largent. Pour
quoi alors? Je ne sais pas. Je ne sais pas grandchose, franchement.
La mort de ma mère, par exemple. Etait-elle déjà
morte à mon arrivée? Ou nest-elle morte que plus
tard? Je veux dire morte à enterrer. Je ne sais pas. Peut-être
ne la-t-on pas enterrée encore. Quoi quil en soit,
cest moi qui ai sa chambre. Je couche dans son lit. Je fais dans
son vase. Jai pris sa place. Je dois lui ressembler de plus en
plus. Il ne me manque plus qu'un fils. Jen ai un quelque part
peut-être. Mais je ne crois pas. Il serait vieux maintenant, presque
autant que moi. Cétait une petite boniche. Ce nétait
pas le vrai amour. Le vrai amour était dans une autre. Vous allez
voir. Voilà que jai encore oublié son nom. Il me
semble quelquefois que jai même connu mon fils, que je me
suis occupé de lui. Puis je me dis que cest impossible.
Il est impossible que jai pu moccuper de quelquun.
Jai oublié lorthographe aussi, et la moitié
des mots. Cela na pas dimportance, paraît-il. Je veux
bien. Cest un drôle de type, celui qui vient me voir. Cest
tous les dimanches quil vient, paraît-il. Il nest
pas libre les autres jours. Il a toujours soif. Cest lui qui ma
dit que javais mal commencé, quil fallait commencer
autrement. Moi je veux bien. Javais commencé au commencement,
figurez-vous, comme un vieux con. Voici mon commencement à moi.
Ils vont quand même le garder, si jai bien compris. Je me
suis donné du mal. Le voici. Il ma donné beaucoup
de mal. Cétait le commencement, vous comprenez. Tandis
que cest presuqe la fin, à présent; Cest mieux,
ce que je fais à présent? Je ne sais pas. La question
nest pas là. Voici mon commencement à moi. Ca doit
signifier quelque chose, puisquils le gardent. Le voici. Cette fois-ci, puis encore une je pense, puis cen sera fini je pense, de ce monde-là aussi. Cest le sens de lavant-dernier. Tout sestompe. Un peu plus et on sera aveugle. Cest dans la tête. Elle ne marche plus, elle dit, Je ne marche plus. On devient muet aussi et les bruits saffaiblissent. A peine le seuil franchi cest ainsi. Cest la tête qui doit en avoir assez. De sorte quon se dit, Jarriverai bien cette fois-ci, puis encore une autre peut-être, puis ce sera tout. Cest avec peine quon formule cette pensée, car cen est une, dans un sens. |